1974 à 1989 : la taxe de l’eau et les premières années de l’OPDS

Des bouts d’histoire par Aline Gendron 

 –  1974-1979

Je découvre la force de l’organisation, la force d’être ensemble et je fais l’apprentissage de plein de choses : fonctionnement en réunion, prise de la parole dans le groupe, réflexion, analyse et recherche de solutions face à un problème, accueil des personnes, organisation d’une action, intervention publique, etc.).

Je suis sensibilisée à ce qui se passe ailleurs ; je découvre le monde. Nous avons un lien avec l’Amérique du Sud et nous ramassons du matériel pour l’envoyer au Chili. Une militante a fait un voyage d’études à Cuba et moi, j’en ai fait un en Chine. C’est le dépaysement total. Nous allions là-bas pour étudier le communisme. Sortant à peine de ma cuisine et sans instruction, j’ai souvent été hors norme. À titre d’anecdotes : lors d’une partie de foot dans un stade, l’équipe locale marque un but, je me lève debout et j’applaudis. C’est le silence complet, tout le monde me regarde. Nous ne devons pas encourager la compétition ; ou lors de la visite d’une rizière où les personnes avaient les pieds carrément dans l’eau et où j’ai dit ‘ça pas d’allure de travailler dans de telles conditions’. Notre guide et traducteur me fusille du regard. Nous ne devons pas critiquer.

Je perçois le pouvoir des manifestations : lutte de la taxe d’eau, plusieurs  manifestations dont une de plus de 1 500 personnes, les comptes de taxes d’eau brulés, le rebranchement de l’eau suite à une coupure dans Pointe-aux-Trembles, la force des occupations de bureaux d’aide sociale.

Je suis mêlée dans les différentes idéologies et les chicanes qui viennent avec, quand tout le monde tire de son bord et oublie qui est le véritable ennemi. Mais, nous, les militantes bénévoles, n’en n’avions rien à foutre et souvent nous rigolions comme le fait d’entendre que tout est politique même faire l’amour.

Je reprends du pouvoir sur ma vie. J’étais aussi plus en contrôle sur les malheurs qui me tombaient dessus. J’étais devenue une autre femme.

– 1979-1980

Puis, c’est la scission de l’ADDS ; c’est la chicane en règle. Trois locaux demandent la tenue d’un congrès pour repenser le fonctionnement du regroupement qui piétine, tourne en rond, s’éloigne des assistés sociaux. C’est refusé.  Pour en finir avec l’impuissance d’agir, il y a scission : trois locaux restent ADDS avec le secrétariat et trois deviennent OPDS, Centre-Sud, Mercier, et Saint-Michel, trois locaux qui travaillent beaucoup sur le terrain. Centraide, qui nous subventionnait, coupe la poire du financement en deux.

– 1980-1981

Nous avons le vent dans les voiles. Nous établissons des règles de fonctionnement et créons des comités. Nous nous donnons un Central, pivot de ralliement pour les trois locaux. Un Journal, un dépliant, un macaron, et une bannière sont créés.

Pour fêter notre première année de vie, nous créons une pièce de théâtre « Une christ de belle naissance », reprise par la suite en vidéo. Nous manquions de temps et d’argent. Nous avons adapté facilement le texte de la bible. Nos membres ont trippé et les chrétiens aussi. L’OPDS, au cours des années, a utilisé abondamment le théâtre pour faire passer ses messages.

Nous avons aussi adopté une Charte des droits des assistés sociaux. Une charte qui disait que c’était à nous de décider de nos besoins et qui reconnaissait l’ensemble de nos droits : droit à un revenu décent, droit de se nourrir convenablement, droit à un logement convenable, droit à l’éducation gratuite, droit à la santé, droit aux loisirs, etc.

Puis, nous avons organisé l’Action Steinberg (ancien grand marché d’alimentation). Nous étions une centaine de personnes, dont 60 assistés sociaux qui achetaient une boîte de Kraft Dinner avec 1 $ en papier ; le Steinberg se vide de ses clients parce que les gens ont peur.  Le gérant barre les portes pour nous empêcher de sortir ; Il est hystérique et tente avec une grosse pancarte de bloquer la vue aux médias qui filment et photographient à travers la vitre. Il appelle la police. Il nous accuse de voler parce qu’on remplissait un panier modèle selon le Guide alimentaire canadien. Des journalistes entrent avec la police. Celle-ci ne voit pas de problème parce que nous payons nos Kraft Dinner et pour le panier modèle, tant que nous ne passons pas à la caisse sans le payer, on ne vole pas. Comme nous étions en campagne électorale, nous avons envoyé nos boîtes à frais virés, avec un message, aux principaux candidats. Une telle action donnait de la puissance aux personnes.

Nous poursuivions toujours la lutte de la taxe d’eau de toutes les manières possibles et nous avons interrompu souvent les séances du conseil. Une fois, deux gros agents de sécurité m’ont sortie et mes pieds ne touchaient pas à terre. Ma fille que j’avais confiée à Marie-Jeanne Corbeil et qui était dans l’autre parterre criait : « moman, moman, qu’est-ce qu’ils font à ma mère ! » J’étais entrée avec un mégaphone sous mon manteau et je me suis mise à crier : « La taxe d’eau, on la paye pas ! » et le groupe a repris avec moi. On s’est fait expulser. Les personnes nous apportaient leur compte de taxe d’eau, on inscrivait leur numéro d’aide sociale et on les retournait à la ville.

Nous avons aussi mené une lutte pour le remboursement des 38 000 coupures pour dette à l’aide sociale. Le ministère, à la demande du Conseil du trésor, avait décidé de couper les chèques de 35 $ alors que les assistés sociaux ne devaient rembourser l’aide conditionnelle ou les trop-perçus qu’une fois sortie de l’aide sociale. Nous avons fait des demandes de révisions massives, des actions et porté plainte à la Commission des droits de la personne. Notre objectif était d’enrayer la machine ; ils devaient répondre à nos demandes de révision. Comme nous étions au Front commun des personnes assistées sociales du Québec, nous demandons aux groupes en région de suivre le mouvement. Ce qu’ils font et c’est la victoire, l’ensemble des personnes sont remboursées. Pour les personnes 35 $ sur un chèque d’aide sociale, c’est un gros montant !

 

– 1981-1985

En décembre 1981, occupation de 15 jours du bureau de Claude Charron, leader parlementaire, ministre et député de Centre-Sud. Nous revendiquions une augmentation de 20 % sur les chèques, l’indexation aux trois mois, la hausse des prestations des moins de 30 ans sans discrimination et l’arrêt des coupures à l’aide sociale. À l’époque, seulement Lucie et la secrétaire faisaient partie du comité de lutte. Nous avions élaboré un scénario qui commençait chez Charron, certaines de se faire expulser, pour aller ensuite occuper au Centre St-Pierre et se faire aussi expulser et terminer notre occupation dans une église où le curé nous attendait. L’objectif était de faire un battage médiatique sur nos revendications.

Horreur, Charron ne nous expulse pas. Là, on voulait quitter de nous-mêmes. Lucie disait qu’on ne pouvait pas partir sans être expulsées ; elle avait bien raison. Nous sommes restées avec deux agents de la Sûreté du Québec, armés. Nous avons organisé la question des repas, notre quotidien, réalisé un journal sur place, monté un sapin de Noël et répondu à des questions d’aide sociale jusqu’à ce qu’on nous coupe l’accès au téléphone. Des occupations de bureaux de députés et d’aide sociale étaient organisées en même temps.  Chez Charron, on a jeûné pendant 24 heures, on nous a empêchées d’aller aux toilettes pendant 48 heures, on a coupé le chauffage, mais, il n’y avait rien à faire, nous étions prêtes à passer Noël sur place. Des groupes qui avaient des réunions en soirée venaient nous voir. Un membre du quartier nous avait apporté une petite télé. On a trippé pendant 15 jours et on nous a expulsées le jour où nous avons empêché les employés d’entrer. Finalement, on  a obtenu l’indexation aux trois mois qu’on a reperdue quelques années plus tard.

En 1982, on a fait une parade de Noël dans le quartier qui illustrait nos besoins essentiels. Nous avions quelques chars allégoriques. Les enfants capotaient devant  la parade, qui se terminait par le père Noël (Marcel) et une mère Noël (Marie-Jeanne) en prime.

En 1983, nous avons organisé, avec les syndicats et les groupes communautaires la « Grande marche pour l’emploi ». L’OPDS voulait que cette marche se rende jusqu’à Québec. Les syndicats trouvaient cela très drôle. Finalement, on a travaillé toute l’année pour marcher dix coins de rues à Montréal, mais cela a peut-être donné l’idée aux femmes de marcher pour vrai, jusqu’à Québec en 1995. Cela a eu le mérite au moins de faire discuter tout au long de l’année des travailleurs, des chômeurs et des assistés sociaux sur la question de l’emploi.  À cette époque, l’OPDS est très active au sein du Front commun des assistés sociaux ; on fait partie de l’exécutif et on «leadait » les luttes. On refait aussi de façon très simple espace en moinsavec trois groupes un texte vulgarisé de la loi et on donne plein de sessions sur la loi d’aide sociale en région.

Cette année-là, on s’est aussi chicané, l’organisation manquait de cohésion et nous étions divisées en deux gangs, une plus proche de leurs intérêts personnels, l’autre collée sur la mission de l’OPDS. Par contre, avec certaines contradictions, l’ensemble du groupe tenait à l’Organisation et on s’est engagé dans un processus de médiation, processus qui a débouché, avec certaines conditions, sur l’ouverture du local Montréal-Nord. On a ainsi enclenché une lutte pour l’abolition de la taxe d’eau à Montréal-Nord et à Saint-Léonard.

En 1984, tout en continuant notre travail de locaux de quartier, on s’est engagée dans une lutte contre la discrimination dans les caisses populaires. Les caisses gelaient, en tout ou en partie, les chèques des assistées sociaux alors que ceux-ci étaient garantis par le gouvernement.  Nous avons fait le tour de nombreuses caisses. Nous avons manifesté devant celles-ci et fait beaucoup de tapage médiatique pour finalement remporter une victoire. Aucun chèque du gouvernement ne serait plus gelé. Nous avons fait aussi, avec le Centre St-Pierre un deuxième vidéo « Qu’est-ce qui se passe en d’dans de moé ? » sur les peurs, les préjugés et la mobilisation.

En mai 1985, on organise une caravane qui sillonna différentes régions pour culminer à Québec, quatre jours plus tard.  L’OPDS, avec sa remorque, portait la revendication de l’augmentation de l’allocation scolaire… quatre enfants en bois de huit pieds de long, qui jouaient au ballon.  C’était assez imposant.  À Québec, nous allions enterrer le livre blanc sur la fiscalité, livre qui mettait en place les éléments de la future réforme de l’aide sociale.  Cette année-là, nous avions organisé plusieurs manifestations pour l’allocation scolaire dont une avec des enfants, une sortie en famille quoi !

Nous recevions seulement 35 $ par année pour la rentrée scolaire ; on revendiquait 100 $ par année.  Nous nous sommes rendues au Centre Pierre-Charbonneau où les candidats au leadership du PQ devaient prendre la parole ; c’est Pauline Marois, notre ministre que nous avions choisie comme cible.  Nous étions sagement assises, les enfants aussi, à écouter les longs discours et quand elle a commencé à parler nous nous sommes mis à crier des slogans. On s’est fait sortir, mais l’allocation scolaire a fini par être  augmentée (46 $ au primaire et 93 $ au secondaire).  Le lendemain, dans les journaux, on disait que Pauline Marois avait fait le plus mauvais discours de sa campagne.

– 1986-1990

Puis il y a eu les visites à domicile des boubou-macoutes et on est allé en Cour supérieure pour obtenir un jugement les rendant illégales.  Les groupes du Front commun avaient tous, dans leur, rang, plusieurs personnes qui avaient été visitées, mais aucune n’a accepté de se rendre en cour. Finalement c’est moi qui suis allée sur la base de la crainte d’être visitée. L’OPDS a été partie prenante de ce dossier et a manifesté tous les jours de l’audition devant le Palais de justice.  Les avocats de la Commission des droits de la personne et de la Ligue des droits et libertés doutaient que la requête soit entendue parce que je n’avais pas été visitée.  Mais la requête a été entendue et nous avons gagné : les visites étaient et sont toujours illégales sans le consentement de la personne ou sans mandat. 

Les avocats étaient déçus parce que cela ne mettait pas fin aux visites comme telles si la personne consentait et la peur souvent la faisait consentir.  Mais pour nous c’était une victoire et nous avons publicisé à fond de train le jugement et organisé la résistance des personnes. Nous disions aux personnes de demander un rendez-vous au bureau. Des personnes ont vu leurs chèques coupés, mais nous les avons fait rétablir. Quand on est dans un groupe, on arrive à dépasser nos peurs qui nous rendent impuissantes ou passives et à les transformer en force.

En 1986, la taxe d’eau a été abolie à Montréal.  À chaque année et souvent plus d’une fois, nous manifestions à l’Hôtel de ville, ce qui avait fait dire publiquement à un des adjoints du maire que « les assistés sociaux étaient comme des hirondelles qui revenaient chaque printemps »…  L’image était assez belle.  Nous avons eu une victoire totale et les dettes antérieures ont été effacées. Nous avons lutté sans résultat pour une baisse de tarifs pour les assistés sociaux dans le transport en commun. Cette année-là on s’est donné une nouvelle image par le biais d’un logo et on s’est proclamé le syndicat des personnes assistées sociales.

En 1988, nous sommes intervenues en Commission parlementaire contre le projet de réforme de l’aide sociale, le projet de loi 37. La rédaction de ce mémoire a été un long exercice collectif : discussions en quartier, en comités de lutte, écriture et réécriture, retour en locaux et en comités. On était cinquante en commission parlementaire et tout le monde tournait sa page en même temps, dans un silence de mort. On était fières de notre prestation.

Nous savions que la Commission parlementaire ne donnerait absolument rien, mais nos membres tenaient à ce qu’on y participe. L’exercice n’a pas été inutile puisque l’éducation populaire a toujours fait partie de notre mission. La majorité des groupes qui sont intervenus en Commission parlementaire était contre le projet de loi et quelques groupes seulement qui se comptaient sur les doigts d’une main, l’appuyaient. Nous avons lutté avec acharnement contre cette nouvelle loi. À l’époque, l’OPDS était membre de la Coalition nationale contre la loi 37 et membre de la Coalition régionale du Grand Montréal contre la loi 37. Ensemble, on a organisé une manifestation à Québec de 4 000 personnes et une à Montréal de 6 000 personnes, en plus de faire de multiples actions.

En août 1989, la loi 37 est entrée en vigueur, mais avec un droit acquis pour les assistés sociaux déjà à l’aide sociale ; on reportait d’un an, sa pleine entrée en vigueur  pour mieux diviser les assistés sociaux. Cette année-là, on s’est formé sur la nouvelle loi. L’OPDS a réalisé une loi vulgarisée très étoffée ; on a publicisé la réforme et ses effets. On a organisé de Montréal à Saint-Lambert un chemin de croix, le calvaire des assistés sociaux. On a fêté aussi notre dixième anniversaire et on a formé le Syndicat populaire, un nouveau regroupement national, avec la gang de Shawinigan, Trois-Rivières, La Tuque. Saint-Hyacinthe voulait embarquer, mais, ils ont été menacés de perdre leur financement.