Histoire de l’OPDS

Photo par André Querry

(Photo prise par André Querry)

Quelques pages de notre histoire

 En 2002, l’OPDS avait quatre locaux de quartier et un Central (Regroupement), mais notre situation financière était précaire. Nous devions trouver une solution pour maintenir notre Organisation en vie. Nous avons choisi de fusionner les locaux Montréal-Nord et Saint-Michel ainsi que les locaux Centre-Sud et Mercier. Le Central où se tenaient, entre autres, les comités du Regroupement, la réalisation du Journal et l’organisation des actions, « squatterait de façon légale » dans un des deux nouveaux locaux. Nous avons choisi de donner de nouveaux noms à nos locaux, soit la maison Marie-Jeanne-Corbeil pour le Nord de Montréal et la maison Aline Gendron pour le Sud. Le nom de maison correspondait bien à la réalité de l’OPDS, un lieu chaleureux où les membres et qui que ce soit devaient se sentir chez elles. Les noms choisis témoignaient de l’engagement indéfectible de deux femmes assistées sociales militantes qui avaient pris fait et cause pour l’aide sociale. À l’époque, Marie-Jeanne Corbeil était décédée, mais pas Aline Gendron. Le local portant son nom lui a demandé de venir témoigner à la première activité qui s’y est tenue. C’est à partir de son point de vue que nous vous présentons ce bref historique.

 Intervention d’Aline Gendron

26-09-2002

 « Il y a environ deux semaines, l’équipe du local m’a dit, jeudi le 26 septembre on fait l’inauguration du local dans le cadre d’un “5 à 7″ et comme nous avons fusionné les locaux et que celui-ci s’appellera dorénavant «la maison Aline Gendron», nous aimerions que tu sois la conférencière de cette première activité et que tu fasses un court historique des luttes menées par l’OPDS à travers ton vécu de militante durant ces 32 dernières années passées à l’organisation. On te donne environ trois quarts d’heure pour s’exécuter.

 D’abord, je dois vous dire que c’est tout un honneur de me retrouver ici ce soir et quel honneur d’avoir un local qui porte mon nom. C’est  un hommage que l’on fait habituellement à une personne qui a été déterminante dans la vie de plusieurs personnes et qui est décédée. Quand on m’a appris que ce serait « La maison Aline Gendron », ma première réaction a été : mais je ne suis pas encore morte et je ne suis pas pressée pour l’être non plus ; j’ai cru qu’on me faisait une blague. Par la suite, ça m’a beaucoup touchée et émue. Sans fausse modestie, je peux vous dire que ce que j’ai fait durant 32 ans à l’OPDS dont quatre, à l’ADDS, c’était d’abord pour moi et pour mes semblables. Bien d’autres en font autant sinon plus. Un gros merci pour cette marque de reconnaissance.

 À soir, comme on me donne le feu vert, je ne vais pas vous parler des gens riches et célèbres, mais bien de l’OPDS. L’OPDS, c’est le passe-partout pour lutter et en arriver à une justice pour toutes et tous. L’OPDS, ça donne l’heure juste étant donné que nous sommes continuellement en action-réaction face au gouvernement, pour la défense de nos droits.

 Je vais d’abord commencer par vous dire comment je suis arrivée à l’OPDS ; dans le temps c’était l’ADDS. C’était en 1970. Je suis tombée sur l’aide sociale comme on attrape un cancer, avec la pitié des autres en moins ; aucune sympathie pour les assistés sociaux, les parasites, les paresseux, les fraudeurs.  J’avais 37 ans, un mari à qui on venait justement de diagnostiquer un cancer, cinq enfants et une grosse septième année.

 Toute ma vie s’écroulait. Comme bien des femmes, j’avais reçu une éducation de future épouse et mère. À quoi bon l’école pour laver des couches plus tard ? Mon mari me prendrait en charge, me dirait même pour qui voter le moment venu. Je n’aurais qu’à tenir maison, j’étais la reine du foyer. On habitait un logement modeste, mais propre, mon mari nous faisait vivre, j’élevais mes enfants. On n’était pas riche, mais l’avenir était devant nous. Tout d’un coup, le château saute, ma tête aussi. J’étais effondrée. Me rendre à l’aide sociale fut la pire humiliation de ma vie. Me retrouver devant ce fonctionnaire qui me proposait de placer mes enfants pour que je travaille fut insoutenable. J’avais rejoint le clan des perdus, des moins que rien.

 Puis un jour, une amie me parle de l’Association pour la défense des droits sociaux, l’ADDS, m’aiderait à me défendre pour mes enfants. Ma détresse était grande le jour où j’ai franchi la porte de l’Organisme ; j’étais passé devant cette porte, l’ADDS-Mercier, une fois, deux fois et même trois fois, avant d’y entrer. En le faisant, je devais admettre ma situation et mes préjugés étaient nombreux à l’égard des assistés sociaux. C’est pourtant auprès d’eux que je me suis rescapée du suicide.

 J’ai découvert un autre monde ; c’est là que j’ai fait mon école populaire. J’ai d’abord appris qu’on ne vit pas de l’aide sociale par choix, ni moi, ni personne d’autre ; qui peut choisir de vivre la misère. Les personnes assistées sociales sont tous des travailleurs précaires ou des travailleurs en attente, des mères cheffes de famille, des gens malades, des gens comme vous et moi que les circonstances de la vie font basculer l’autre bord de la clôture, des personnes qui se réalisent autrement que par le travail… des personnes avant tout.

 À l’OPDS on m’a fait découvrir mon potentiel, on m’a valorisée. Je me suis intégrée graduellement dans un groupe chaleureux, solidaire, où chacun mettait ses ressources en commun. On a d’abord réglé mes problèmes avec l’aide sociale, ensuite on m’a invitée à participer à des réunions. J’ai suivi une session de la loi d’aide sociale et je me suis embarquée sur un comité de tâches. Le bureau était tenu par des bénévoles assistées sociales, aidées de quelques intervenants, travailleur social et organisateur communautaire. Je n’en revenais pas de voir ces gens travailler trois ou quatre jours par semaine sans salaire juste pour une cause, leur cause, mais cette cause était devenue ma cause.

Comme je sortais de ma cuisine, je ne savais pas faire d’ordre du jour, je n’avais aucune connaissance des lois, je ne savais pas faire un journal, tenir la comptabilité, prendre des décisions, évaluer un problème, parler en public, organiser une conférence de presse ou une manifestation, faire une occupation et mille autres choses. C’est ainsi que j’ai fait mon université en dehors des murs de la grande institution. 

Tout cela ne s’est pas fait sans heurt. Au cours des ans, mon mari est décédé, j’ai perdu un fils dans un accident, mais j’ai retrouvé mon autonomie. Au départ j’étais bien fragile. Quand une assistée sociale venait au local et me racontait son problème en pleurant, je pleurais avec elle. J’ai aussi appris le travail d’un organisateur communautaire côtoyant les bons et les moins bons côtés de la nature humaine, mais sachant qu’il y a toujours des raisons derrière les actes et que nous avons la capacité de changer les choses.

Un jour, je me suis présentée à l’aide sociale, il n’y avait personne dans la salle d’attente. Je donne mon nom au comptoir, je commence à parler. L’agent m’interrompt et me dit de prendre un numéro. Je lui dis que la salle est vide.  Il me répond, si vous voulez qu’on vous réponde, allez prendre un numéro et attendez qu’on vous appelle. J’aurais piqué une crise, mais je suis restée bouche bée. Le gars avait le pouvoir. Je suis allée chercher mon numéro et j’étais à peine assise qu’il m’a “callé” : numéro 17. Voilà, il venait d’établir le rapport de force entre nous. D’autres se font crier dans la salle d’attente, à partir du comptoir, alors qu’il y a une dizaine de personnes. Vous venez pourquoi, vous ? La honte, l’humiliation, j’ai connu ça comme tous les assistés sociaux.

J’ai été 20 ans sur l’aide sociale, c’est tout un bail.  Pendant 32 ans, j’ai travaillé à l’OPDS pour la reconnaissance des droits des assistés sociaux, pour la justice, pour le partage de la richesse, pour un monde où chaque personne aurait sa place dans la société. Pendant 32 ans, j’ai lutté pour me changer moi, d’abord et pour changer les autres ensuite. C’est collectivement qu’on a fait ça à l’OPDS et sans aucune prétention… juste pour se donner un monde meilleur !