1990 à 2002 : des militantes luttent et occupent

(Photo prise le 1er juin 1992 par André Querry lors de l’occupation du bureau du protecteur du citoyen)

Des bouts d’histoire par Aline Gendron

En 1990, le 2 août, on manifestait dans un bureau d’aide sociale pour l’entrée en vigueur définitive de la loi 37. Quand la gang a tourné le coin de la rue, l’agent de sécurité a voulu barrer les portes. Ils nous attendaient ; ils avaient tellement peur du grabuge, qu’ils avaient fait attacher toutes les chaises ensemble. Mais six personnes ont pu entrer à l’intérieur et se sont assises avec les gens qui attendaient déjà. Une de nous avait pris un numéro. Notre gang manifestait dehors et nous on attendait sagement à l’intérieur. Quand notre numéro a été appelé, on s’est toutes levées en demandant à rencontrer le directeur, branle-bas de combat, l’agent a appelé d’autres agents à sa rescousse. Il n’arrêtait pas de dire ébahi « Ils ont pris un numéro, ils ont pris un numéro » Il était stupéfait d’avoir rien vu. Finalement le directeur est venu, il était complètement hystérique et la police nous a mis dehors.  On est allé manifester par la suite à Saint-Lambert, chez Bourbeau, le ministre de l’aide sociale.

En 1990, on a aussi organisé une deuxième caravane avec le Syndicat populaire des assistés sociaux ; c’était en octobre. Notre remorque portait le thème « D’Halloween 37 : Les horreurs de la Loi 37 ». D’immenses bonhommes toujours de huit pieds, sorcières fantômes, squelettes, etc., illustraient notre thème. En quelques jours, nous nous sommes rendues à Québec.

On s’est battu aussi, avec la Coalition régionale, pour que la Ville de Montréal adopte une motion condamnant la loi 37. Ce qu’on a obtenu après une année de lutte.  On a poursuivi la lutte contre la loi 37 et on l’a intensifiée. Toujours avec la Coalition, on a organisé 37 jours d’actions contre la loi 37… Calendrier qui n’a pas été pleinement suivi à cause de la faiblesse des groupes.

– 1991-1995

En 1991, on a organisé une action d’éclat avec le Syndicat populaire chez le ministre Bourbeau à Saint-Lambert, Bourbeau qui jouait au polo, un sport de riches. On s’est donc amené avec Céline déguisée en Bourbeau, le joueur de polo, montée sur son cheval. Un vrai qu’on avait loué, une vedette, même, qui avait joué dans les Filles de Caleb. On a bloqué la rue pendant des heures. Nous avons livré notre message au bureau de Bourbeau qui voulait nous recevoir, mais nous avons refusé. Nous préférions continuer notre spectacle de rue sans nous faire remplir les oreilles de sornettes politiciennes.

On a aussi relancé le local Centre-Sud qui éprouvait beaucoup de difficultés.  L’Organisation a ouvert un poste et j’ai postulé. Je l’ai obtenue. Sortie de ma cuisine en 72, après avoir passé 15 ans à Mercier et quatre ans au Central, j’éprouvais le besoin d’avoir de nouveaux défis. J’étais attachée à l’OPDS et j’étais prête à prendre la coordination de façon bénévole, mais on a refusé, en m’incitant à postuler. J’étais fière de sortir de l’aide sociale parce que ma situation financière s’améliorait et que je ne serais plus stigmatisée. C’est dire tout le travail qu’on a à faire, car même après dix-neuf ans de lutte pour la reconnaissance de mes droits, contre les préjugés et la discrimination, on porte toujours l’empreinte de notre situation. Je n’ai jamais caché le fait que j’étais à l’aide sociale et j’ai fait des tonnes de sorties publiques, mais quelque part, en dedans de moi, j’en portais les marques.

En 1992, en avril, on a occupé une journée la Direction des communications du ministère de la main-d’œuvre. La police suivait les autobus et l’anti-émeute a couru après nous.  Mais un autobus complet a pu entrer. On préparait aussi une longue série d’actions, pour le mois de mai. Le 25 mai, on occupait le bureau du ministre du travail, puis, le 26 mai, on occupait le bureau du Protecteur du citoyen, occupation qui allait durer 14 jours. On voulait rencontrer Bourassa pour lui porter nos revendications. On a reçu plein d’appels du bureau de Bourassa, tout le monde voulait nous voir sauf lui. On nous promettait qu’il nous rencontrerait plus tard. On n’a pas bougé et la police nous a sorti à la demande du protecteur qui nous avait gardé jusqu’à la visite des artistes qui nous ont appuyées, dont Yvon Deschamps, Nathalie Gascon, Richard Desjardins, Pauline Martin, Richard Séguin, Gilles Vigneault et Laurence Jalbert.

1er juin 1992 : photo prise par André Querry lors de l’occupation du bureau du protecteur du citoyen

Nous n’avons pas rencontré Bourassa, mais ce n’était pas l’enjeu pour nous. L’important était la couverture médiatique inestimable que nous avons obtenue. Chaque jour, des militantes manifestaient devant l’Hôtel sur la rue Sherbrooke et nous avions un local de soutien à quelques rues de notre lieu d’occupation. Celui-ci publiait un communiqué de presse par jour. Nous avions des locaux de jour et de nuit. Nous n’empêchions pas les salariés du bureau du Protecteur de travailler sauf le jour où ils ont tenté de bloquer toutes les communications avec l’extérieur, y compris la livraison des repas apportés par MultiCaf, une cafétéria communautaire de Côte-des-Neiges. Dans les occupations de longue durée comme celle du bureau de Charron ou celle-ci, organisée par plusieurs groupes, nous nous retrouvons dans une microsociété où l’organisation et les prises de décisions doivent être communes. Chacun doit avoir sa place, sa parole et faire passer l’intérêt du groupe avant tout. Ce n’est pas toujours évident.

Le lendemain de l’expulsion, la gang d’occupants s’est rendus avec Michel Chartrand et Pierre Vallières pour demander à Communications Québec, si nous avions un premier ministre et quelles étaient ses coordonnées. Quel bonheur d’avoir Michel Chartrand à nos côtés. Puis, le lendemain, la même gang toujours en feu se rendait occuper l’Hôtel de Ville, au bureau d’Accès-Montréal.  On est resté toute la journée et en soirée, la police nous a expulsées. Enfin, le lendemain encore, on s’est rendu au coin de Panet et Sainte-Catherine et on a fait un sit-in sur la rue Sainte-Catherine ; 300 personnes assises dans la rue toute l’après-midi. Cela a perturbé quelque peu la circulation. Si on m’avait dit, il y a quinze ans, que je ferais ce genre de choses, j’aurais rigolé. Mais au cours des ans, j’avais appris la force de la résistance et je savais à ce moment que nos droits ne sont jamais acquis, il faut les arracher à la force de nos luttes et avec le pouvoir de notre nombre. De la même façon que si on m’avait dit que je jouerais plein de personnages (Bourassa, Marie, Chartrand, Ponce Pilate, une malade, une femme de ménage, une mère de famille, une itinérante (où je devais avoir l’air bien réelle, car les journalistes me prenaient pour une vraie itinérante), un agent d’aide sociale, un curé et j’en passe) et que je ferais du théâtre, j’aurais tout aussi rigolé. Les membres adoraient les pièces de théâtre et les sketchs. Notre message était plus clair et apportait ensuite une réflexion collective.

En 1993, l’OPDS a relancé un appel aux groupes pour réactiver la Coalition contre la loi 37, qui est devenue la Coalition pour la survie des programmes sociaux.  On s’est battu contre la réforme des programmes sociaux (coupures à l’aide sociale et à l’assurance-chômage).  On s’est battu aussi contre la délation, suite à la mise en place des agents vérificateurs et on a organisé une action devant la résidence de Bourassa, à Outremont.

En 1994, on a mené une lutte contre le bénévolat forcé (en clair le workfare), au sein de la Coalition. Une municipalité (Val-des-monts) avait adopté une résolution demandant au gouvernement de rendre conditionnel au chèque d’aide sociale, la participation à du bénévolat pour les assistés sociaux aptes au travail. La résolution a fait boule de neige et 700 municipalités l’ont adopté. Nous avons obtenu que la Ville de Montréal vote contre cette résolution. Finalement, le ministère de l’aide sociale a refusé de rendre conditionnel le chèque au bénévolat forcé. Nous étions prêts à nous battre jusqu’au bout sur cette question.

Nous avons aussi lutté contre la réforme des programmes sociaux et nous avons organisé une action contre Hyundai pour la fermeture de Bromont (900 jobs étaient perdues et Hyundai avait encaissé une centaine de millions de subventions. Nous avons réussi à entrer à l’intérieur des bureaux pour leur dire de rembourser ; c’était la panique totale. Nous avons occupé leur terrain jusqu’à l’expulsion par la police.

En 1995, on a poursuivi la lutte contre les programmes sociaux et le travail forcé, une nouvelle réforme de l’aide sociale s’annonçait. La menace du travail forcé planait toujours. L’OPDS a participé à la Commission régionale sur l’avenir du Québec où on a réclamé un pays où les gens mangeraient trois fois par jour, où la richesse serait redistribuée, où la santé et l’éducation seraient accessibles, où il y aurait de l’emploi et, où à défaut de travailler, le revenu serait garanti. On a aussi participé à la Marche des femmes qui, elles, avaient marché jusqu’à Québec. Le thème de cette marche était : « Du pain et des roses ».

 – 1996-2000

En 1996, les rapports Bouchard et Fortin sont sortis afin d’alimenter une réforme majeure de l’aide sociale. Au printemps 1995, la ministre Jeanne Blackburn avait confié à deux professeurs de l’UQAM, le mandat de déposer un rapport pour une réforme sur la  sécurité du revenu. Deux rapports distincts ont été écrits et une bonne majorité de groupes les voyaient très opposés. Mais ils se rejoignaient au fond : sortie des enfants de l’aide sociale, mais non de la pauvreté, baisse des barèmes pour les aptes ; discrimination chez les jeunes, saisissabilité des chèques, baisse des prestations spéciales, insertion en emploi. Vivian Labrie faisait partie de cette gang-là. Le projet de loi 186 est sorti cette année-là.

On a eu droit aussi à deux Sommets socio-économiques. C’est au premier que le supposé consensus sur le déficit zéro est arrivé. Puis, au deuxième, c’est l’emploi, on devrait dire le workfare, qui a primé. On a organisé une action chez Louise Harel. Ensuite, on a fait plusieurs actions contre le projet de loi sur l’assurance-médicaments dont quatre jours d’occupation avec l’AQDR et le Projet P.A.L. de Verdun, une ressource en santé mentale, qui nous avaient demandé de l’aide pour réaliser cette action chez Boisclair.

En 1997, on est intervenu en Commission parlementaire avec Michel Chartrand contre la réforme de l’aide sociale. Nous savions que peu importe ce qu’on dirait, cela ne serait pas pris en compte. C’est pour cela que nous avions un porte-parole qui s’appelait Michel Chartrand. Celui-ci nous a d’abord laissé parler et ensuite, il est intervenu pour notre plus grand plaisir. Notre temps était largement dépassé et le président essayait de mettre fin à son intervention sans succès. Chartrand lui a dit : « je suis encore capable de lever mon pied assez haut pour botter le cul d’un ministre ». Nous étions descendus en autobus à Québec et nos membres étaient tellement fiers. Murielle, une militante bénévole au quotidien, disait : « Je me suis sentie élevée quand Michel Chartrand a parlé. Je n’étais plus en bas de tout, j’étais quelqu’un. J’avais de l’importance ». Cette année- là, on a occupé plusieurs bureaux de députés.

En 1998, suite à une longue réflexion sur la perte de nos effectifs depuis la mise en place de la loi 37, on a tenu un congrès. Les personnes assistées sociales refusaient que l’OPDS réduise ses services, la réforme battait son plein et la peur prenait tout le monde à la gorge. L’appauvrissement était toujours plus grand et les menaces de la fin de l’aide sociale encore plus proche. Au prix de beaucoup d’efforts, on s’est concentré sur la réforme et on a organisé une journée d’occupation chez Louise Harel. On a aussi organisé une journée en autobus du peuple pendant la campagne électorale ; le chauffeur de l’autobus que nous avions loué nous a même aidés à la décorer. Il connaissait des personnes à l’aide sociale ; il savait que leur vie n’était pas facile.

Vivian Labrie qui faisait partie de la Commission Bouchard-Fortin, a travaillé au Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté formée en 1998. C’est à ce moment qu’est sorti le projet de loi contre l’élimination de la pauvreté qui devait éliminer la pauvreté en dix ans. Le projet de loi a fait l’objet d’une vaste consultation et donnait beaucoup d’espoir aux personnes pauvres. Sans nier l’intérêt suscité et l’exercice démocratique du projet qui s’est échelonné sur plusieurs années, l’OPDS et d’autres groupes étaient contre. Contre la morale sous-jacente au projet de loi, contre certains articles qui piégeaient les personnes et contre l’absence de lutte réelle liée à la réforme. Ce n’est pas notre rôle d’écrire des projets de loi. Notre rôle c’est de se battre pour changer le système qui permet aux riches de s’enrichir en volant le bien public et en utilisant nos forces de travail. La Loi sur l’élimination de la pauvreté a été adoptée en 2002. Gageons que la pauvreté ne sera pas éliminée et qu’elle sera encore pire au cours des prochaines années. Dommage qu’il n’y ait pas eu de vraies luttes organisées.

En 1999, le projet loi 186, la nouvelle réforme de l’aide sociale a été adoptée. Et on visité nos deux ministres, Boisclair et Lemieux.  On a aussi organisé douze jours de piquetage devant le bureau de Boisclair pour enterrer, durant la Semaine des personnes assistées sociales, avec le Syndicat populaire, la loi 186, cette maudite réforme. On a aussi rédigé un nouveau texte de loi vulgarisé pour la nouvelle loi.

En 2000, l’OPDS a adopté la revendication du Revenu de citoyenneté, on a fêté le 20e anniversaire et on est intervenu en Commission parlementaire sur l’assurance-médicaments. Nos membres voulaient qu’on y participe. On a aussi organisé une action contre le workfare chez Lemieux avec le ROCAJQ et le RAJ.

En 2001, on a tenu un deuxième congrès où cette fois-ci des mesures (du moins, on l’espère) ont été prises pour que l’OPDS survive et recrute de nouveaux militants. On a adopté entre autres la fusion des locaux et de nouvelles formes de militance. On a participé au Sommet des Amériques à Québec et on a lutté contre la tarification des services publics dont l’eau qui a toujours été pour l’OPDS un cheval de bataille important. Et cela se poursuit en 2002.

Conclusion

Je suis toujours profondément attachée à l’OPDS, comme toutes les personnes qui y passent. C’est vraiment une histoire de coeur, mais c’est aussi une histoire de raison. On doit se battre parce qu’en tant que personne humaine, on a des droits, on a des besoins, on a des richesses collectives que quelques-uns s’approprient et on a des espoirs. On doit se battre parce que partout sur la terre on a des frères et des soeurs qui vivent des conditions semblables et même pires. On ne veut pas vivre dans un monde d’injustice, de guerres, de massacres et on doit travailler à changer ça.

L’OPDS c’est une organisation importante où les personnes sont reconnues.  C’est une école de vie. À travers les années, avec peu de ressources et de moyens, nous avons fait de grandes choses et il faut continuer. Certains disent que ça ne vaut pas le coup, qu’on est qu’un grain de sable dans la grosse machine…  mais les grains de sable, ça bloque souvent les grosses machines.  Il ne faut pas oublier que si on ne s’était pas battu, il n’y aurait plus d’aide sociale. Ça prend du temps c’est vrai; mais plus nous serons nombreux, plus nous serons forts, plus nous arriverons à créer le monde dont nous rêvons.

L’OPDS a éprouvé des difficultés de toutes sortes, mais le groupe n’a pas cessé de se battre. Ce n’est pas toujours facile de fonctionner en groupe, faut se dire que chacun apporte ses couleurs et c’est important. Les fusions des locaux et les changements de fonctionnement devraient donner une nouvelle vigueur, mais les membres doivent se mobiliser. De nouvelles personnes doivent se joindre à nous. Il faut plus que jamais unir nos capacités, nos moyens et nos forces. On doit se multiplier dans la solidarité. La résistance, c’est notre pouvoir, la lutte c’est notre victoire. Plusieurs pensent que depuis plus de dix ans, on n’a fait aucun gain. Ce n’est pas vrai. Si aujourd’hui on a encore des droits, encore une loi d’aide sociale, c’est que des groupes comme l’OPDS se sont battus avec acharnement. Sinon on serait un maudit gros paquet de monde dans la rue, mais pas pour manifester, on joindrait le rang des itinérants.

Je reste proche de l’OPDS, quand on a passé plus de 30 ans à se battre on ne quitte pas facilement, on a de la difficulté à décrocher. C’est la raison pour laquelle je viens encore à l’occasion faire certaines tâches pour dépanner. J’ai à coeur que cette organisation survive et même grandisse. C’est ensemble qu’on peut y arriver. Pour tous les humains, pour tous les militants de la terre, les Marcel, les Anita, les Madeleine, les Khadija, les André, les Murielle, les Étienne, les Pierrette, les Céline, les Marie-Jeanne, les Lucie, les Mario, les Claudette, on n’a pas le droit de baisser les bras, car eux continuent chaque jour, avec nous, la lutte pour la justice sociale.