Lettre ouverte pour les médias diffusée le 15 novembre 2021
Une journée nationale de la philanthropie, mais la pauvreté et les préjugés sont à l’année !
Hier, en lisant les journaux, nous avons pu prendre connaissance de plusieurs articles et reportages écrits à l’occasion de la Journée nationale de la philanthropie. Si nous nous permettons de prendre la plume, aujourd’hui, c’est que ce concept nous hérisse au plus haut point et que nous aimerions offrir un point de vue intérieur au communautaire, en alternative aux voix charitables déjà entendues.
Une journée nationale de la philanthropie, nous le voyons en effet comme la consécration du concept de la charité, dans notre société. On donne quelques sous, chacun de son côté, on se donne bonne conscience et on se déconnecte de la réalité jusqu’à l’année suivante. On aide le « bon pauvre », celui qui correspond à nos critères de mérite, celui qui, de notre point de vue, ne « l’a pas cherché ». Ce faisant, on réduit la pauvreté et la précarité à des tares individuelles, des erreurs-systèmes dans une société riche qui prétend offrir égalité et droit de cité à toutes et tous. Mais personne ne veut ni n’aime être pauvre, exclu et porter le stigmate de paresseux ou d’empêcheur de tourner en rond de notre société axée sur la performance ! Personne n’aime avoir faim, survivre de mois en mois, être malade de devoir rester dans des appartements surpeuplés ou insalubres !
Au contraire des grandes fondations et donateurs bien-intentionnés de ce monde, qui lient souvent leur aide financière à des actions ciblées et des projets non renouvelables respectant plutôt leur agenda que les besoins des gens concernés, le tissu communautaire québécois est un tissu de solidarités et d’initiatives de terrain efficaces, originales et près des gens. Succédant à des années de luttes diverses pour le changement de notre société et pour l’avènement de davantage de justice sociale, les groupes communautaires cumulent des décennies de riches expériences porteuses d’espoir et de changement. Travailler, s’impliquer et militer dans le communautaire, c’est avoir la chance d’être sur le terrain, à la rencontre et à l’écoute des principaux concernés par la pauvreté et la précarité, par l’exclusion et les préjugés. Qui de mieux placé, en effet, pour rechercher et créer des solutions efficaces à ces problèmes collectifs que les personnes qui sont aux prises avec ceux-ci ?
Le milieu communautaire en est un de solidarités et de réseaux qui s’entrecroisent, de liens qui se créent et se multiplient, tous œuvrant de diverses façons, mais marchant vers un monde plus juste pour toutes et tous. Ce sont des initiatives sur le long terme qui y sont mises en place, un travail de fourmis, au quotidien. Mais ça marche ! Tous les jours, on voit des gens apprendre de nouvelles choses, mieux connaitre leurs droits, relever la tête et améliorer leur situation de vie. En brisant l’isolement des gens, en leur permettant de mieux connaitre la loi d’aide sociale et de façon plus générale, leurs droits sociaux, l’OPDS change des vies depuis plus de quarante ans. Nous croyons fermement que le travail de terrain accompli par l’OPDS permet des impacts positifs et pérennes sur l’ensemble de la société, en redonnant notamment du sens au concept de l’égalité des chances.
Malheureusement, la défense des droits individuels et collectifs en lien avec l’aide sociale n’est pas un sujet populaire ni vendeur auprès ni du monde politique, ni des bailleurs de fonds et des grands charitables de ce monde, loin s’en faut. Du côté des groupes communautaires et de leur financement, on voit de plus en plus les grandes fondations se retirer du financement à la mission des groupes communautaires. On veut plutôt mettre en place des projets complètement inadaptés à la réalité terrain ou encore qui dédoublent les initiatives populaires déjà existantes. Dans le cas des groupes de défense de droits à l’aide sociale, nous avons vu ce phénomène être poussé à son paroxysme, avec le retrait total du financement de ce secteur par Centraide, ce qui a grevé, à l’époque, le budget annuel de l’OPDS de 82% !
En ce qui a trait au discours politique, concernant les personnes à l’aide sociale, les positions gouvernementales à l’endroit de la pauvreté, illustrent les pensées d’une droite décomplexée, bien assumée et voulant lier obligatoirement le chèque d’aide sociale à des programmes d’employabilité forcés, maladaptés à leurs besoins ou leur situation. Nouvelle forme de travail à rabais, du véritable cheap-labour. Mettez-vous à la place d’une personne à l’aide sociale. Vous recevez un peu plus de sept-cents dollars par mois pour vivre. Vos problèmes de santé ne sont pas reconnus par le Ministère de l’Emploi. On vous offre le choix entre participer à un programme d’employabilité et recevoir deux-cents dollars de plus par mois ou ne pas y participer et vous faire couper deux-cents dollars sur votre chèque mensuel. Que faites-vous ? Évidemment, même si votre santé ne vous le permet pas, vous embarquez dans le train. Ce faisant, vous risquez de voir votre situation péricliter davantage.
Alors forcément, quand nous voyons les grands médias se faire les chantres d’une philanthropie « bien intentionnée », on tique. Aux fondations et politiques de ce monde, nous leur lançons de nous laisser continuer notre travail, de respecter l’indépendance du milieu communautaire et de l’action communautaire autonome et de recommencer à financer les groupes de terrain selon leur mission, sur le long terme. Impliquez-vous de façon durable, à l’année et en respectant l’expertise des gens sur le terrain, au lieu de souligner des journées thématiques annuelles à votre profit !